Image may be NSFW.
Clik here to view.
Professeur à Aix-Marseille université, où il enseigne et mène des recherches en psychologie, neurosciences et économie comportementale (nudges), Olivier Oullier conseille des organisations nationales et internationales sur l’apport des sciences comportementales et du cerveau pour améliorer les stratégies de politiques publiques, expertise pour laquelle le Forum Economique Mondial l’a nommé Young Global Leader. Il interviendra demain lundi 9 décembre après-midi lors des débats sur la transition écologique.
Comment concilier temps politique et urgence écologique aujourd'hui ?
Le temps politique a un problème majeur : le calendrier électoral –qu’il soit national, régional, local ou européen- ne permet à personne, candidats comme électeurs, de respirer. Le quinquennat ne facilite pas les choses, bien au contraire. Face aux contraintes électorales, la classe politique se croit dans l’obligation de chercher à obtenir des résultats qui seront visibles à court terme et sur lesquels elle peut capitaliser, au moins en terme de communication. Mais rejeter la faute sur les seuls acteurs du monde politique serait par trop simpliste. Les citoyens, eu égard au contexte socio-économique alarmant et à la rapidité de la transmission de l’information (chaînes TV d’information en continu, médias sociaux, etc.) sont dans l’attente quasi-permanente de bonnes nouvelles. Plus les personnes en charge de la vie publique ont une vision utilitariste à court terme afin de remonter dans les sondages et d’être (ré-)élus, plus elles vont chercher à donner aux citoyens des micro-mesures et pseudo-résultats et plus les électeurs vont en exiger. Cette causalité circulaire entraîne une inflation de l’offre (politicienne) et de la demande (citoyenne) : un phénomène de bulle comportementale qui n’est pas sans rappeler ce que l’on peut observer sur les marchés financiers. Tout ceci est un problème fondamental, pour les questions écologiques comme pour l’ensemble des politiques publiques.
Mais l’inadéquation entre le temps politique et celui de l’action écologique ne doit en aucun cas être une excuse pour ne rien faire.
Croyez-vous en la possibilité de trouver des solutions démocratiques aux défis actuels ?
Je viens de terminer une série d’expériences sur la consommation durable dans plusieurs pays. J’ai eu recours à des méthodes classiques de questionnaires déclaratifs mais aussi des techniques combinées d’eye-tracking (qui permet d’enregistrer où l’attention visuelle est portée) et d’enregistrement de l’activité cérébrale. La portabilité nouvelle de ces instruments de mesure nous a permis non seulement de réaliser des travaux dans des configurations de laboratoire mais ensuite d’aller tester certaines stratégies élaborées à partir des résultats de laboratoire sur le terrain quelques jours après. De fait, nous avons des résultats sur le comportement de "vrais gens" dans leur "vraie vie" qui ne sont pas uniquement basés sur ce que ces personnes ont bien voulu répondre à des enquêteurs, comme cela est trop souvent le cas. Ceci nous a notamment permis de mesurer avec une plus grande précision l’écart entre ce que les gens disent et ce qu’ils font en matière de consommation durable.
Ce qui ressort est que les questions écologiques sont perçues comme un fardeau pour bon nombre de personnes dans tous les pays où nous sommes allés. La protection de l’environnement, les consommateurs la jugent primordiale mais la perçoivent aussi comme un « truc » de plus qu’on leur demande de faire – et qui s’ajoute donc à la longue liste qui comprend l’usage du préservatif, l’alimentation équilibrée, l’activité physique, le port de la ceinture, la vaccination contre la grippe etc. Il convient dès lors de développer des solutions où le comportement écologiquement vertueux et/ou la consommation durable ne sont pas prescrits ou demandés de manière explicite mais élaborés de telle sorte qu’ils apparaissent comme une forme de solution par défaut qui demanderait le moins d’effort possible. Cela semble couler de source, mais si l’on facilite l’adoption d’un tel comportement, et si l'on enlève le poids associé à l’effort perçu tout en faisant la promotion des bonnes pratiques de manière positive, alors on arrive à faire en sorte que les citoyens-consommateurs respectent plus l’environnement. En d’autres termes, dans certains contextes, il ne faut surtout plus parler d’écologie puisque cela peut avoir l'effet opposé à celui recherché. Il faut juste faciliter l’adoption des comportements qui ne nuisent pas à la planète sans les qualifier d'efforts écologiques: moins de discours, plus de méthode permettant de mettre en œuvre des actions efficaces et simples à réaliser.
De telles solutions, si elles sont bonnes pour l’environnement, ne le sont pas pour ceux qui ont fait de l’écologie un moyen d’exister sur la scène médiatique et politique. L’écologie ne devrait pas être une spécialité politique, mais une composante de tout système participant à la vie publique et privée. Elle ne peut et ne doit être envisagée en dehors de l’ensemble des paramètres de la vie sociétale. Que dirait-on si l’on avait un parti politique de la santé ou de l’éducation ? Cela n’aurait que peu de sens. C’est un des effets pervers de l’existence des partis écologistes. Elle a été nécessaire parce que les partis historiques ont longtemps ignoré les questions écologiques mais la singularité de la branche politique de l’écologie a isolé la protection de l’environnement du reste des problèmes de la société. Or l’écologie ne peut être efficace si elle pratiquée et/ou perçue, à tort ou à raison, comme une doctrine isolée. Il faut qu’elle soit intégrée dans un fonctionnement systémique en coordination avec l’économie, la finance, l’éducation, la santé, la sécurité et la culture. De la même manière, on ne peut demander des mesures simplistes comme « la fin du nucléaire » sans envisager les conséquences systémiques en terme de coût, d’emploi, d’impact sur la vie sociale et économique de villes. Par exemple, que fait-on des milliers de foyers dont les revenus dépendent d’emplois dans cette filière ? Personne parmi les promoteurs de l’abandon du nucléaire ne propose de solution à ce problème très concret. On ne l’évoque quasiment jamais.
L’autre point important est qu’au final, la promotion de l’écologie c’est faire changer les comportements. Mais les écologistes en France, comme en Europe, consultent très peu les spécialistes du comportement humain, voire pas du tout. Or, si vous avez un problème d’électricité, vous n’allez pas demander à votre boulanger de le régler. Vous allez voir un spécialiste de l’électricité...
Il se trouve que, cette année, l’université d’été d’Europe Ecologie-Les Verts s’est tenue sur le campus où je travaille. J’ai donc pu non seulement échanger avec nombre de personnes présentes mais également voir et écouter la nature de certains échanges et des discours tenus sur scène. J’ai l’impression que la priorité n’était pas à la compréhension du comportement des individus pour pouvoir le changer et protéger l’environnement. Loin de là. Et pourtant, les buvettes ne se trouvaient qu’à quelques mètres de nos bureaux et laboratoires où nombre de personnes spécialistes de comportement humain travaillent en collaboration avec des institutions en charge de politiques publiques de santé notamment, mais aussi de développement durable. Toutefois, pour cette dernière thématique, les demandes nous viennent principalement de l’étranger.
Nos travaux sur les « nudges verts », ces modifications de l’environnement pour faciliter l’adoption de comportement écologiquement vertueux, permettraient d’avoir des résultats en matière de consommation durable, de diminution des ressources énergétiques et de protection de l’environnement qui sont peu coûteuses et efficaces. Certaines sociétés employant les sciences comportementales au cœur de leur stratégie ont réussi à faire économiser plusieurs centaines de millions de dollars en changeant la façon de présenter l’information dans les factures d’électricité par exemple. Le coût peut être très faible pour un impact significatif. J’ai dirigé des travaux sur le sujet pour le Centre d’analyse stratégique du Premier ministre; je regrette que les choses tombent dans l’oubli des piles de rapports commandés par le pouvoir. Dans le même temps, plusieurs pays dans le monde ont adopté ces pratiques et les résultats sont plus qu’intéressants, il suffit de regarder de l’autre côté de la Manche pour le constater. Certains savent tirer profit de notre expertise dans l’ « architecture du choix ».
Comment faire évoluer notre système politique pour une meilleure efficacité décisionnelle?
déjà prendre le temps de tester les mesures et les réformes avant de les mettre en œuvre quand cela est possible. Aujourd’hui dès qu’un ministre, quel que soit son appartenance politique et son domaine d’action, propose une réforme, il se fait attaquer de manière systématique par les oppositions –même si certains des détracteurs du moment, alors qu’ils étaient au pouvoir ou en campagne avaient dans leurs tiroirs ladite réforme quelques temps avant.
Le seul moyen d’éviter les échanges stériles du type « j’ai la conviction que c’est une bonne (ou une mauvaise) réforme » est d’avoir des données recueillies dans des conditions contrôlées sur le comportement véritable des gens. Or la plupart des réformes sont décidées à l’aune de rapports élaborés par des spécialistes triés sur le volet –je peux en parler, j’ai été l’un d’eux à maintes reprises- s’inspirant d’expériences passées et/ou de ce qui se fait à l’étranger. La volatilité du citoyen-consommateur ne cesse de croître tant au niveau de son degré d’attention, de ses préférences que de ses choix. Il est donc primordial d’avoir des données récentes collectées, autant que possible, dans des conditions les plus proches possible du terrain d’application d’une réforme. Trop nombreux sont les rapports qui préconisent les mêmes mesures partout dans le pays malgré des différences et des particularismes régionaux et locaux manifestes. Une approche régionale voire locale pour l’Etat serait bien trop couteuse en temps et en ressources. C’est pourquoi je pense que les véritables acteurs du changement se trouvent au sein des mairies qui connaissent les contraintes locales et ont des capacités d’action et d’adaptation théoriquement plus rapides que les gouvernements. Encore faut-il vouloir les exercer. L’idée n’est pas nouvelle, le spectre de la décentralisation et surtout de son échec rode toujours.
Bien évidemment, une approche différentielle et expérimentale des politiques publiques n’est pas simple. Elle n’est pas bon marché non plus, à court terme. Mais elle peut permettre d’éviter des erreurs couteuses. Il n’empêche qu’il faut tester les politiques publiques, avant de les mettre en œuvre, quand cela est possible bien sûr.
Le Royaume Uni a été le premier pays à avoir une unité spéciale spécialisée dans les sciences comportementales (la « Behavioural Insights Team », appelée Nudge Unit par les médias) à la disposition du gouvernement pour éclairer ses choix et tester les mesures de politiques publiques avant leur mise en œuvre. Cet été c’est l’administration Obama qui a commencé à recruter pour sa propre unité sur le sujet. A titre personnel, je conseille deux pays qui évaluent la possibilité de créer de telles unités et caresse l’espoir que la France soit le prochain. J’ai récemment lancé un appel à ce sujet dans le Nature magazine quelques jours avant que la Commission Européenne n’organise une conférence internationale sur l’apport des sciences comportementales en politiques publiques en septembre dernier. Plus de 400 acteurs majeurs des politiques publiques venus du monde entier ont partagé leurs expériences dans le domaine de la fiscalité, des économies d’énergie, de la santé ou encore de l’éducation (documents et vidéos disponibles en ligne). La représentation française en était quasi absente.
Expérimenter nécessite une certaine méthode, notamment le recours à au moins un groupe contrôle pour voir ce qui se passe si l’on ne fait rien, ensuite on applique à plusieurs groupes d’individus différentes variations d’une intervention pour pouvoir ensuite choisir la meilleure. Les anglo-saxons appellent cette méthode les « randomized controlled trials », France on parle d’expérimentation aléatoire contrôlée. La décision publique est alors éclairée par des faits mesurés. Ainsi lorsque les détracteurs d’une réforme protestent, pouvoir leur opposer des mesures rigoureuses est un atout non négligeable. Toutefois, le revers de la médaille est que des données rigoureusement obtenues présentent au moins deux désavantages pour tout dirigeant (dans le public comme dans le privé) : tout d’abord elles peuvent montrer que la politique/stratégie menée depuis des années est une erreur, ce qu’aucun leader, politique ou autre, ne souhaite. Ensuite, une fois que les résultats sont portés à la connaissance du public, il devient plus difficile de ne pas agir.
Personne de sensé n’ira prétendre que le recours aux sciences comportementales et du cerveau ainsi qu’aux expérimentations de terrain aléatoires et contrôlées est la solution à tous les problèmes écologiques. Toutefois, en ignorer les atouts est une erreur majeure que notre pays ne peut plus se permettre de faire, au niveau financier comme humain, dans le domaine de l’écologie comme dans l’ensemble des politiques publiques.
Olivier Oullier peut être suivi sur l’Internet : www.oullier.fr et sur Twitter : www.twitter.com/emorationality